La cyberfraude prospère plus que jamais en Birmanie, avec le concours du Starlink de Musk

Elles étaient censées disparaître sous la pression des gouvernements concernés. Mais les usines à arnaquer en ligne des victimes dans le monde entier prospèrent mieux que jamais en Birmanie près de la frontière avec la Thaïlande, révèle une enquête de l'AFP.
La construction de ces complexes aux allures de mini-villes ceintes de barbelés et gardées par des hommes en armes continue sans relâche autour de Myawaddy, sur la frontière avec la Thaïlande, montrent des images satellite et des prises de vue réalisées par drones par l'AFP.
Ces images mettent en lumière ce qui ressemble à l'utilisation à grande échelle par les fraudeurs du service internet Starlink d'Elon Musk.

Ces espèces de centres d'appel d'un autre genre, qui ont proliféré dans les zones inhospitalières dites du Triangle d'Or, emploient de gré ou de force des petites mains.
Assises derrière un écran ou un téléphone, elles soutirent chaque année des milliards de dollars à des Chinois, des Américains et autres pigeons à l'autre bout du monde, convaincus de réaliser un juteux investissement ou d'avoir trouvé l'amour.
La plupart de ces centres sont sous la coupe de syndicats chinois du crime en cheville avec les milices birmanes qui abondent à la faveur de la guerre civile, disent les experts.

Mais un flux constant de Chinois disparaît encore. Leurs proches se lancent désespérément à leur recherche, s'exposant eux-mêmes à de sombres agissements.
Fang, originaire du Gansu, dans le nord-ouest de la Chine, raconte que son frère de 22 ans, en décrochage scolaire, s'est volatilisé en février dans le Yunnan, à la frontière birmane.
Son frère avait probablement des soucis financiers et s'est rendu à Xishuangbanna, près de la frontière du Triangle d'Or, pour s'adonner au trafic d'or et de montres, pense-t-elle.
Elle est à présent convaincue qu'il a été attiré là-bas et forcé de passer en Birmanie. Les relevés téléphoniques le localisent pour la dernière fois dans la région de Wa, bastion du groupe ethnique le plus important et le mieux armé de Birmanie.
Comme d'autres membres de sa famille, elle se sent impuissante malgré ses appels à l'aide aux autorités chinoises. "C'est le petit dernier de la famille", explique-t-elle. "Ma grand-mère, atteinte d'un cancer en phase terminale, pleure tous les jours à la maison."
Fang dit avoir rejoint sur la messagerie chinoise WeChat plusieurs groupes de personnes à la recherche de proches disparus près de la frontière avec la Birmanie. Elle a été approchée par des "sauveteurs" auto-proclamés lui proposant leurs services.

L'AFP a contacté plus d'une douzaine de ces personnages faisant la promotion de leurs activités sur les plateformes Xiaohongshu et Kuaishou. Beaucoup semblaient avoir eux-mêmes travaillé dans les centres de cyberfraude et se prévalaient de leurs liens avec des trafiquants.
Ils ont assuré pouvoir actionner des relais dans les centres ou parmi les "têtes de serpent", des passeurs de mèche avec les centres.
La plupart ont évoqué le paiement de rançons équivalant à des dizaines de milliers de dollars, en fonction du centre où se trouverait la personne disparue et d'éventuelles dettes qu'elle aurait auprès du gang.
Soudain sauvetage
Certains de ces "sauveteurs" ont affirmé ne pas prendre d'argent pour eux-mêmes. D'autres au contraire ont exposé clairement la part leur revenant et celle revenant à des intermédiaires.
L'un d'eux, se présentant sous le nom de Li Chao, dit gagner des milliers de yuans par mois (1 yuan = 0,12 euro) en organisant des sauvetages au Cambodge – autre plaque tournante pour la fraude et le blanchiment – en repérant les camps et en escamotant les fugitifs en voiture de location. C'est un travail rémunérateur, mais "il y a aussi des risques pour moi", déclare-t-il.

Ling Li, chercheuse sur l'esclavage moderne aux commandes d'une ONG de lutte contre la traite des êtres humains, s'émeut que des gens comme Li Chao lui "compliquent" la tâche.
Son organisation aide les familles à rechercher des travailleurs en Birmanie et au Cambodge en contactant la police et en négociant des rançons.
De nombreux "sauveteurs" sont eux-mêmes des escrocs ou facturent des sommes faramineuses pour des extractions qui, souvent, ne se concrétisent jamais, déclare-t-elle. "Les familles peuvent facilement se faire rouler par des opportunistes."
Certains proches ont versé des milliers de yuans pour rien, abonde Fang. Les sauveteurs "prétendent avoir des relations, en réalité il ne s'agit que d'une arnaque de plus", tranche-t-elle.
Sun a été extrait le 12 février. Il réparait des téléphones ce matin-là quand un groupe d'hommes armés est arrivé et les a entassés, lui et des dizaines d'autres, dans des pickups qui les ont les conduits vers un camp de miliciens. Quelques heures après, il était dans un bateau pour la Thaïlande.
"Jamais je n'aurais imaginé être sauvé aussi soudainement", dit-il. Dix jours plus tard, on l'a embarqué dans un avion à destination de Nanjing, en Chine, encadré par des policiers.
"État ennemi"
Sun fait partie des milliers de personnes arrêtées lors de l'opération conjointe de février entre la Chine, la Thaïlande et deux anciens groupes rebelles karens à présent alliés à l'armée birmane parmi les différentes milices opérant autour de Myawaddy.

Les fraudeurs sévissent dans un "environnement très permissif, avec l'autorisation des milices birmanes affiliées à la junte", commente un récent rapport du groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute, en partie financé par le ministère de la Défense australien.
Si de violents combats opposent souvent des groupes rivaux près des centres, ces derniers n'auraient jamais été touchés, note le rapport. Personne ne veut mettre en péril les "profits bruts générés par l'industrie de l'escroquerie", ajoute-t-il.
Pékin assure que son action témoigne de son engagement "résolu" à enrayer cette calamité. Mais Nathan Ruser, auteur du rapport de l'Australian Strategic Policy Institute, et d'autres experts, affirment que des opérations comme celle de février ne font que perturber temporairement les réseaux criminels.
"Tant que la junte militaire de Rangoun favorisera et alimentera cette industrie, je pense que cela restera un jeu du chat et de la souris", estime Nathan Ruser. De nouveaux centres "surgiront ailleurs", prédit-il.
Sun insiste sur le fait qu'il a été forcé de travailler dans les centres et n'a jamais escroqué personne. Traumatisé, épuisé et toujours en liberté sous caution, il trouve le "fardeau mental" de son calvaire difficile à supporter.

Pékin n'a pas précisé comment il comptait traiter ceux qui ont travaillé dans les centres. Des experts font valoir que nombre d'entre eux minimisent leur implication pour échapper à la sanction.
La société chinoise éprouve peu de compassion pour eux, quoi qu'ils aient fait, selon la chercheuse Ling Li. "On vous jugera pour votre cupidité et votre stupidité", résume-t-elle.
Mais les gouvernements ont fait preuve d'une "négligence insensée" face à la gravité du problème, accuse l'experte Erin West. "On nous vole la valeur d'une génération de richesse", dénonce-t-elle. "Je ne sais pas comment nous allons y mettre fin. C'est devenu bien trop grand, comme un État ennemi".
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